Diagonales perdues

Pensées éthérées, réalité déformée et petits instants de gaîté

lundi, juillet 6 2009

Coup de pression

Londres, Avr. 2009

Il est 7 heures et la salle d’embarquement est pleine. La foule se déplace subtilement vers la porte tout en écoutant distraitement l’hôtesse de la compagnie aérienne. Annonce importante : problèmes techniques … indépendants de la volonté de … – long soupir d’agacement général et quatre heures dans la vue. On gagne un café gratuit, mais on a intérêt à le boire lentement et l’aimer froid et dilué. Et tant pis si on avait prévu de prendre un English Breakfast avec les potes en arrivant.

Cinq heures plus tard, Gatwick Express vers Victoria. Un couple explique au petit dernier que les maisons là ben c’est typique anglais. Qu’il n’en verra jamais comme ça à Marseille. Ni en France. Ou alors peut-être en Alsace. Un SMS m’annonce qu’on viendra me chercher à la gare, puis qu’on ira acheter des huitres, bien que juin ne soit pas un mois en r. Font rien comme nous ces Anglais.

Le train arrive finalement et on n’est pas vraiment en avance sur le planning. On prend donc une bière pour oublier ça, puis un bus. On mate les maillots de bain au passage, parce que c’est important et qu’en plus ils sont rouges. Par miracle, le musée vers lequel on se dirige est toujours ouvert quand on arrive. Sous un panneau géant annonçant “Free admission”, et à côté d’une affichette déclarant “Pay £3 here”, on nous réclame £11. On cède joyeusement à cet accès de grand banditisme doublé de mauvaise foi, mais on se demande un peu plus loin – notamment devant une commode en argent massif incrustée de jade – si on ne pourrait pas rapporter quelques souvenirs.

La décence m’oblige ici à taire les événements qui ont ensuite lieu chez Harrod’s. Sachez tout de même que malgré nos efforts répétés, aucun hélicoptère téléguidé n’a été détruit. Et que de l’éléphant et du zèbre, on ne sait plus bien qui a gagné. Pas Lady Di en tous cas, vu l’horrible shrine (rien à voir avec Tokio Hotel) qu’on lui a dédié.

Mais accélérons un peu, voulez-vous ? 4 pantalons, 3 English breakfast, deux musées et une gueule de bois plus tard… non ça va trop vite, bougez pas, où j’en étais…

Ah oui. C’est le matin, et on fait le pied de grue devant un resto. On crève la dalle alors que des assiettes remplies de bacon, d’oeufs brouillés, de tartines de pain beurré et de beans nous passent sous le nez. C’est probablement là qu’on se fait la réflexion que le Nord et l’Est, c’est pas tout à fait pareil quand même. Ce à quoi l’un de nous répond que bon, ça dépend où t’es situé quoi. On hésite entre l’envoyer petit-déjeuner au pôle nord ou le forcer à nettoyer un appartement entier à l’aspirateur de table (non ami lecteur, il n’y a aucune espèce de private joke sur ce blog. Jamais. C’est pas le genre de la maison).

Finalement repus, notre meute se déplace vers l’écluse de Camden (si vous vous demandiez ce que ‘lock’ voulait dire, maintenant vous savez) (et vous pourrez désormais vous foutre de la gueule de votre pote rasta) (je prévois de longues heures de fou-rire rien que d’y penser). En chemin, quelqu’un fait remarquer qu’il y a des airbags dans les couloirs du London Tube. Vu la foule aux heures de pointe, ça a du sens. Mais vu la fiabilité dudit Tube, ça pourrait aussi bien être des roues de secours.

Plus tard, on règle nos montres sur le méridien de Greenwich (oui oui, /sur/ le méridien) (le seul endroit de Londres où on ne parle pas un mot d’anglais, d’ailleurs) (mais bon, fermons les yeux là-dessus, il sera toujours temps de les rouvrir plus tard). Evénement unique depuis la débâcle d’Henri III à Saintes, il faisait beau ce jour là et on a pris un pousse-couillon sur la Tamise pour se rendre à la Tate Britain.

Et c’est là que je dois arrêter mon récit, cher auditoire. C’est pas que le barbecue dans le jardin ait été désagréable hein. Ni le shopping dans les rues Londoniennes pendant les soldes. Non c’est pas ça.

C’est juste que je ne m’en rappelle pas bien. Trop d’ivresse et de bons moments, pas assez de pages sur mon carnet. Heureusement mon avion au retour était en retard. Ca m’a donné le temps de désaouler avant de rentrer à Berlin.

Veuillez attacher vos ceintures pendant que nous amorçons la descente…

dimanche, juin 14 2009

Travaillons du chapeau

- Je vais essayer une pétasse blonde, s’il vous plaît.
- Ah désolé on n’en a plus. On n’a plus non plus de P’tite cochonne ambrée.
- Il vous reste quoi de local ?
- On a une très bonne bière de l’Abbaye.

***

- Mon dieu, je viens de lire “orgasme” sur ce papier peint…
- Ton inconscient te joue des tours, moi le premier mot que je lis c’est…
- C’est ?
- “orgasme”.

***

- Oh, t’as rapporté de l’alcool de pneu d’ex-URSS, comme c’est attentionné !
- Attends, j’allais pas acheter de la Grey Goose pour faire des cocktails…
- Et du coup t’as pris de la Poliakov. Y’a un juste milieu peut-être ?
- Sans doute, mais faudra faire avec. Ça et trois litres de Red Bull.
- Juste milieu… ste milieu… lieu… eu…
- Écoute, à nous deux on a dormi quoi ? 5 heures en cumulé sur les dernières 24 heures ? De l’energy drink, c’est exactement ce qu’il nous faut.
- Tu me sers du Boulaouane ?

***

- J’ai rencontré un flic grimpeur qui m’a fait du gringue
- Il lui a fait du grain ?
- Du gringue
- Et du coup elle nous a fait un tajine de poulet avec de la graine
- Tout s’explique

***

- Faut toujours que je rajoute mon grain de sel
- C’est ton côté gringalet
- …et un poil grain d’gueule
- Bon pendant ce temps là les minutes s’égrènent et on a faim
- Te voilà philosophe. Ça me donne du grain à moudre.
- Hé les blagueurs, ça vous dit du pain aux céréales ou vous préférez du standard ?
- Nan te casse pas la tête, du standard ça ira
- Oh tu faiblis, t’as raté le pain aux graines
- Ouais, je pédale un peu dans la semoule. On s’écoute un peu de grain d’core ?

***

- Le chat t’a réveillé ?
- Nan, j’ai pas fermé l’œil. Il reste du Red Bull ?
- Je ne crois pas. Je vais faire du café et je file au sport.
- T’as une compétition de lancer de brosse à cheveux ?
- Voilà, t’as tout compris.
- Nan sérieux, pourquoi tu prends ton complet de toilette ?
- Parce que généralement après le sport, on se douche.
- Oh.
- T’es vif ce matin.
- Ben généralement après une cuite, je dors.

***

- Les MMO c’est le mal incarné. Une fois, sa fille est venue à la maison, et il jouait à Pirates of the burning sea. Il ne s’est même pas levé pour lui dire bonjour.
- Hein ? N’importe quoi, c’est absolument faux !
- Tu vois, il était tellement pris qu’il ne s’en rappelle même plus…
- Non mais c’est pas ça, je m’en souviens très bien mais je jouais à Civilization. Faut pas tout confondre.

***

- Elle vient d’appeler, elles seront en avance finalement, elles arriveront vers 20h.
- Sauf qu’il est 20h20, déjà.

***

- Disons qu’on commence par Bangkok, ensuite on profite qu’on n’est pas trop loin pour aller à Ayuthaya et Lopburi. Après hop, on peut faire un tour du côté Chiang Mai, et de la on peut imaginer se promener vers Chom Thong, Chiang Dao, limite Chiang Rai, Chiang Saen, et Wiang Chai. J’irais bien sur une île aussi, genre Ko Chang, ou Ko Kut. Éventuellement Kaôh Kong ou Kaôh Rung…
- Vous avez fait votre choix ?
- Oui, je prendrai une double aspirine et une carte de Thailande s’il vous plait
- Ajoutez un triple Red Bull. Sec, sans vodka.

***

- Hé Hé, et tu te souviens quand euh, c’est quoi déjà son nom, il avait mangé la feuille de pandanus avec.
- (s’étrangle)
- Ah ouiiiii, le pauvre on s’était trop foutu de sa gueule tout le voyage avec ça. Au fait, on n’avait pas pris deux Gai Ho Bai Toey ?
- Nooooon, je ne crois pas. Et c’est toxique sinon, comme feuille ?

***

- Mais tu faisais pas de la sécurité avant toi ?
- Si, quand j’étais dans le sud. Maintenant je fais du dev.
- T’en as eu marre ?
- Nan, j’avais une vie de rêve, mais je pouvais plus blairer mon boss.
- Bon enfin j’imagine que t’as retrouvé plein de trucs cools en revenant à Paris du coup.
- Non.
- Y’a rien qui te manquait et que t’es content d’avoir retrouvé, sérieux ?
- Attends si. La tour Eiffel.

***

- Bonjour monsieur, avez-vous un appareil photo numérique, un téléphone mobile, un disque dur portatif ou un ordinateur portable dans votre bagage à main ?
- Vous avez tout bon. Ah nan attendez, j’ai deux téléphones.
- Oh. Excusez-moi mais exceptionnellement il faudra tous les sortir en ma présence.
- Pas de soucis.
- Vous avez des liquides ?
- Non.
- Une bouteille d’eau ?
- Ca compte comme liquide l’eau, non ?
- Pas de gel douche, de shampoing ?
- Non plus, c’est en soute.
- De la mousse à raser ?
- Vraiment pas.
- Du chocolat ?
- …

dimanche, juin 7 2009

Musique indémodable

Visions of future pop

Selon certaines personnes dont nous tairons le nom, des gens comme Brel, Brassens et Coluche seraient terriblement actuels. Et donc indémodables. Ce qui justifierait qu’on les écoute mieux, qu’on les redécouvre, qu’on en tire la substantifique moëlle. Je relève donc le défi : aujourd’hui nous analyserons “Mon vieux Lucien”, d’Edith Piaf. (Exercice : si vous êtes courageux, lisez le texte intégral.)

Quelle chance que t’as d’avoir, Lucien, un vieux copain comme moi. / Moi, tu m’connais, j’aime rigoler et m’amuser, pas vrai ?

D’emblée, on note que Lucien est un prénom parfaitement moderne. Ca ne mange pas de pain – mais à vrai dire on ne sait plus bien ce qu’ils mangeaient à l’époque.

Mais tu n’ dis rien. Tu m’ laisses parler. J’ te connais bien. Tu m’ fais marcher. / Moi ça n’ fait rien. Tu peux y aller, mais maintenant, ça va, et dis-moi pourquoi / Tu fais cette tête-là comme ça ? mais… Regarde-moi… T’as les yeux gonflés. / Je t’ai réveillé ? Ah non ! T’écrivais à ta Bien-aimée… / Qu’est-ce que tu caches là ? Là…dans ton tiroir… Eh ben, quoi, fais voir !

Notre charmant Lucien semble un brin déprimé, au point qu’il cache un pistolet dans son tiroir (ou peut-être s’agit-il d’une guillotine de poche). C’est que, voyez-vous, il écrit à sa Bien-Aimée, et il a un peu du mal à aligner les mots. Du coup ça lui fout le moral en vrac – ce qu’on comprend aisément.

Pour ne rien arranger, son “copain” le saoule grave là tout de suite, et s’il pouvait la fermer un peu ça serait déjà ça de pris. On sait en outre que ce gros lourd a ramené toute sa bande, et qu’ils attendent vraisemblablement derrière la porte de Lucien. Dans ces conditions, le pauvre n’est pas près de finir sa lettre. En revanche, il est probable qu’à très court terme il fasse usage de son arme – et pas nécessairement de la façon attendue. Un pistolet – ou une guillotine de poche – lancé(e) à bout portant est très efficace, surtout quand la cible se trouve à moins d’un mètre (ce qui est statistiquement le cas : Lucien est de toute évidence parisien et habite dans une chambre de bonne).

…Lucien !… Eh bien quoi, Lucien !… Donne-moi c’ que t’as dans la main ! / Ah ! C’t’agréable, d’être ton copain ! / Ah non, Lucien ! / Allez… / Viens !…

La chanson se termine par la démission de Lucien, qui ne finira pas son courrier aujourd’hui. L’histoire ne dit pas s’il mettra une beigne à son “copain”.

***

Première impression : ce texte est effectivement très moderne. Il aborde sans complexe deux problématiques archi intemporelles : l’amour et la mort. Le seul souci, c’est qu’il faut être en mesure de lire le vieux français ; certains termes ont en effet dévié de leur signification d’origine, et le contexte permettant de se réapproprier le sens est généralement perdu.

Je vous propose donc ci-après une retranscription, afin d’aider nos jeunes lecteurs nés après 1947 à mieux saisir l’idée générale :

T’as du bol Jean-Romain, d’avoir un pote comme moi.
T’sais comment j’suis, j’pars grave en live des fois
Ben ce soir, pour déconner, j’te jure quoi,
J’ai dit aux autres: “on va squatter chez Jean-Romain!”

T’as du bol, Jean-Romain, de m’avoir comme pote,
Franchement sans m’vanter ‘chuis quand même trop cool
Ben quoi tu dis rien, vas-y tu déconnes !
OK lâche l’affaire, c’est bon. Mais vas-y quoi ?
Pourquoi tu tires la tronche là allez !?
Franchement, spa cool, t’es bourré ou bien ?
Bon quoi mais lâche ton facebook, c’est qui elle d’abord ?
Mais vas-y c’est qui, elle est trop bonne !
Hé man pourquoi t’as un pull, y fait quarante dehors,
Et c’est quoi ce cutter pourri là, ah mais c’est dégueu…

T’as viré Emo ou quoi ? T’es fou dans ta tête ?

Franchement t’as trop du bol de m’avoir comme pote, Jean-Romain,
J’te connais comme si que j’t’avais fait, tu vois,
‘chuis comme un frère pour toi, on s’dit des trucs trop intimes,
Genre tu kiffes 50 cents et tout– c’est qui c’te meuf sur ton myspace ?
Bon lâche l’affaire et ramène toi, on va picoler avec les autres

Mais t’as trop d’la veine mon vieux, comment qu’on s’poile tous les deux,
Un peu plus j’ai cru qu’tu virais trop dark, l’autre hé
Bon allez, j’me tire, ciao fréro. Et arrête de faire la gueule putain,
Viens donc boire des coups et mater l’roi Heenok sur youtube
Tu m’déprimes grave là avec ton Evanescence pourri,
Tu vas m’faire crever

Jean-Romain, hé, Jean-Romain bordel quoi ! Lâche ton cutter là !
Putain mais tu m’fous la honte là arrête,
C’est pas bon esprit, t’es pas flat mon gars
Jean-Romain, oh !
En plus Marie-Ernestine ça s’écrit avec un Y.
Et ça tiendra jamais sur ton bras.
Bouffon vas !

jeudi, juin 4 2009

So goth he scares himself

Fernsehturm, Berlin, Juin 2009

La scène se déroule à Berlin, dans la maison du sauvage. Par la fenêtre, le ciel change régulièrement de couleur, et les nuages jouent à Tetris. Sauvage est en t-shirt, les cheveux en pagaille, une vieille trace d’oreiller sur la joue droite et un peu de mousse de café sur le nez. Il courbe le dos devant son écran d’ordinateur, et s’adresse à divers interlocuteurs en parlant doucement dans les tuyaux.

- Sauvage -

Mmpppfff. Faudrait que je fasse quelque chose pour cet appartement, c’est le boxon. J’ai même pas dégonflé le matelas, j’ai l’impression de vivre dans un 20m² parisien. Sauf que je douille 54 centimes la demi-seconde d’appel à mes potes, et qu’il me faut 250 heures de marche soutenue pour aller les voir.

- .Déko -

Moi j’ai lancé une lessive, fait la vaisselle, fait mon lit au carré, arrosé mes plantes, et fait les courses déjà. J’hésite à récurer mes toilettes avec une tête de brosse à dent électrique avant de me mettre au boulot. Ou faire du repassage un peu, j’ai des caleçons qui attendent.

- Sauvage -

Sérieux tu repasses tes caleçons ?

- .Déko -

D’habitude non.

- Sauvage -

Ouais je vois. Hé attends un peu… C’est déprimant ici, tu veux pas qu’on bouge un peu ?

- .Déko -

Euh…

- Sauvage -

(à pleins poumons)

Par le pouvoir du glaive ancestral ! Je détiens la force toute puissante !

- Kas197 -

Du crâne ! Pas du glaive !

- Sauvage -

Oh hé, c’est ma pièce, je fais ce que je veux.

***

La scène se joue maintenant dans un café philosophique aux murs multicolores. Tout le monde boit des White Russian, les visages rayonnent. Dehors il tombe des hallebardes et des ninjas. Dedans, des chats sortent la tête du faux plafond, un cheeseburger entre les pattes. Le garçon dit que ça lui plait. Sauvage promène un petit space invader, une note de musique flotte au dessus de lui.

- Foule anonyme -

Pauvre, joyeux et indépendant ! – tout cela est possible simultanément ; pauvre, joyeux et esclave ! – c’est aussi possible, – et je ne saurais rien dire de mieux aux ouvriers esclaves de l’usine : à supposer qu’ils ne ressentent pas en général comme…

- Sauvage -

Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii! Nintendo va sortir une Wii noiiiiiiiiiiiiiiire !

- Foule anonyme -

(interloquée)

- .Déko -

Ouais enfin ils en sortiront probablement aussi une rose, une verte, une bleue, une édition spéciale Zelda et une version en Lego. Pas de quoi pousser des petits cris perçants hein…

- Sauvage -

Nan mais attends, rien à voir, je te dis qu’ils sortent une Wii noiiiiiiiiiiiiiiiiiiire ! Noiiiiiiiiire !

- Un barbu -

(blasé)

Ouais, et ils vont faire comme Apple et te la vendre 200 euros plus chère, tu vas voir.

- Sauvage -

…noire ! Noire ! Noire ! Je la veux maiiiiiiiin’nant ! Noiiiiiiire ! Comment c’est trop la clââââââsse !

(chantonne, très faux)

Noire, noire, noire, noire, num’rooooo huuuun-un-uh-uuuun !

(fait jouer son space invader à Guitar Hero)

- Foule anonyme -

…l’augmentation continuelle de la productivité rend la promesse d’une vie encore meilleure pour tous toujours plus réalisable. Cependant, le développement du progrès semble être lié à l’intensification de la servitude.

***

(tomber de rideau)

dimanche, avril 12 2009

1000

Berlin, Avr. 2009

Listen to the tales and romanticize,
How we’d follow the path of the hero.

Tout a commencé ici, il y a mille jours exactement.

Il est 8h15, on est au beau milieu de l’été et au tout début d’autre chose. Deux mois plus tôt, je laissais derrière moi mon travail, mes étudiants, et un sacré paquet de galères. Si on m’avait dit alors que j’allais me retrouver à Berlin aujourd’hui, j’aurais probablement répondu quelque chose comme : « Dans deux mois ? Tu déconnes, c’est pas réaliste. »

Et ça ne l’était presque pas, mais c’est arrivé malgré tout. Pourquoi ? pourquoi ici, pourquoi maintenant ?

La réponse s’impose d’elle même : pour changer, essayer, fuir, respirer. Apprendre enfin cette langue. Refaire de la sécurité, se lancer des défis. Et ça, ça ne va pas manquer ; dans moins de deux semaines, il faut que j’aie un appartement, un compte en banque, une carte de train, un frigo et un minimum de meubles. En attendant, je décrasse mon anglais, ce qui me vaut de me coucher à neuf heures tous les soirs, crevé et avec un joli mal de crâne.

Mais j’ai aussi un putain de sourire scotché à la tronche et des paillettes dans les yeux. Cette ville, avec ses rues gigantesques, ses cafés omniprésents et presque gratuits et ses parcs verdoyants remplis de gens à poil, a un truc magique.

I jump from every rooftop
So high so far to fall
I feel a million miles away
I don’t feel any thing at all

C’est ici aussi que tout a terminé.

Il est 18h15, l’été touche à sa fin et il entraîne le reste avec lui. Il y a deux ans je laissais derrière moi mes amis, ma famille, ma ville et une certaine idée de la gastronomie. Si on m’avait dit alors à quel point tout ça allait me manquer, j’aurais probablement répondu quelque chose du style : « les amis me manqueront sûrement. Pour le reste, ça m’étonnerait. »

Ça m’étonne encore. Et toujours cette question : pourquoi, pourquoi là, pourquoi maintenant ? Tout allait tellement bien.

Pas si bien que ça, naturellement. Mais c’est toujours effrayant, le changement. Et puis j’en ai bouffé une triple dose déjà, je me reposerais bien un peu. Au lieu de ça, me voilà avec de nouveaux défis. J’ai l’impression d’avoir raté un ou deux trains et je fusionne avec mes meubles. Surtout mon lit, alors qu’ironiquement j’ai perdu le sommeil. Je me coltine un bon gros mal-être tenace, je suis complètement perdu dans cette ville avec ses grandes rues vides, ses cafés délayés et cette langue qui ne rentre pas.

Spark becomes a flame
Flame becomes a fire
Light the way or warm this
Hope we occupy

Il est 7h17, le printemps s’est installé. Chaque matin les arbres ont un peu plus de feuilles, ma rue se colore de toutes les teintes possibles de vert. Petit à petit, le chaos de l’hiver s’évanouit, le froid s’estompe, la vie reprend son cours.

C’est ici, comme ça, que tout recommence.

samedi, avril 11 2009

999

Berlin, Fév. 2009

Les journées s’étirent, et avec elles l’ennui, l’angoisse et l’attente.
Mais la nuit finit toujours par tomber. Patience.

Il n’y a pas grand chose qu’il aime d’avantage que de tailler son chemin dans la pénombre rassurante des rues désertes. Il réfléchit à toute allure, pense, projette, écrit, créé. Ferme les yeux, juste un peu, sourit. Les chansons martèlent leur rythme dans son casque, s’enfoncent dans son crâne, lui serrent le ventre et lui dictent son allure.

Au détour d’une ruelle, il murmure ses peurs aux ténèbres et souffle ses espoirs aux trottoirs. Débouche sur une avenue et s’imagine la ville comme une entité humaine ; observe ses artères charrier des globules, rouges, blancs, à contre-sens les uns des autres. Dans ces moments là, la réalité n’a aucune importance. La probabilité tend méchamment vers 1, quelque soit l’hypothèse.

C’est toujours là qu’il commence à leur parler. Elles ont souvent un visage. Parfois un prénom. Il tisse la toile de leurs vies futures sur le canevas des étoiles, leur avoue ses secrets les mieux gardés. Elles sont belles, contradictoires et inaccessibles. Ce joli capharnaüm vire systématiquement en tour de Babel : on y rit, on y joue, on y jouit, en français, en anglais, en allemand, en Europe et en silence.

Les boulevards l’appellent de nouveau, et il y crie sa rage muette. Il s’arrange toujours pour se perdre du côté du fleuve, pour y remonter le courant. L’irrationel s’effrite alors et l’infini approche dangereusement du zéro absolu.

Il y a peu de choses qui l’effraient autant que l’obscurité sourde de l’asphalte. Ses idées s’y fracassent et ses certitudes se fissurent une à une. Il ferme les yeux et laisse la musique l’envahir.

Les jours s’étirent, et avec eux l’attente, l’angoisse, l’envie.
La nuit finit toujours par tomber, douloureusement.
En attendant, il rêve.

lundi, février 23 2009

Tachysystolie

Montréal, Avr. 2006

Les gens sont en vrac, c’est probablement la saison. Manque de soleil, gros pulls pas sexy, patron flippé et Patrick Sébastien sur les ondes. Et ils dorment tous trop, c’est mauvais, c’est prouvé. Même la place Saint Michel est calme.

Il sort du métro en chantonnant doucement. Pousse la porte, commande son café et une part de cheesecake. Manque de tout mettre par terre alors qu’il mime une ligne de basse, et se promet d’arrêter Guitar Hero bientôt. Au moins dans les lieux publiques.

Elle est un peu en retard, problèmes techniques sur la ligne 4. Tenue noire pour éviter d’éblouir les moroses – elle rayonne. Se moque gentiment de son casque audio.

- Bon alors ce dernier U2 ?
- (bâillement)
- A ce point ? T’es vache, les cinq dernières sont top. T’en penses quoi de ce collier ?
- Pas convaincu
- Je peux vous aider messieurs dames ? Vous cherchez quelque chose en particulier ?
- Oui des chocolats belges. On va vous laisser, merci.

Elle repart déjà, mais lui laisse quelques précieux centilitres de drogue miraculeuse. Il erre dans la capitale en traînant ses 10720 jours avec le sourire. Se perd, comme d’habitude.

- Je peux vous aider monsieur ?
- Oui. Aidez-moi à échapper à la Saint Valentin s’il vous plaît.
- Ah c’est pas simple ça…
- Je sais. Mais j’ai des pistes.

Ce qui le conduit, indirectement, dans une salle de cinéma. La nuit est tombée, il rallume son téléphone.

- A l’aide !
- J’arrive.

Elle a l’air d’aller mieux depuis la dernière fois, malgré la fatigue et le déficit de café. Le temps file et la tension monte.

- Bon alors, on fait quoi ? On chante, on se cache, on rentre, on attend, on…
- …pourrait déclencher toutes les alarmes des voitures dans la rue ?

Le bar est blindé. Elles finiront dans le même état. Lui s’agite, parle trop, bouge trop, pense trop, boit trop. Il n’est pas sûr de préférer ça à son mutisme habituel, mais se promet de continuer d’essayer. Au moins ça le réchauffe un peu.

- Comment ça tu ne connais pas Ministry ? Mais t’as vécu où tout ce temps ?
- Entre Moutiers-sous-Argenton et la Chapelle-Gaudin.
- Je vois…
- Ça m’étonnerait.

Le soleil se lève, ça fouette la tartiflette. Il ne sait plus bien comment il s’appelle, ne sait plus du tout où il a envie de vivre ni quelle langue il voudrait parler. Mais s’il pouvait arrêter le temps, il le ferait maintenant.

mercredi, février 4 2009

Nycthémère

Montréal, Avr. 2006

À croire que tout le monde faisait grève ce jour là. Les cheminots allemands, les aéroports français, l’intelligence des clients. Un véritable complot.

La voilà qui arrive ; trois heures de retard, un mètre quatre-vingt dix-sept. À peine sortie, elle commence à s’exprimer dans un allemand impeccable, à en faire verdir de jalousie un sauvage. Une seule solution pour ne pas passer pour un gros naze : l’étouffer avec un bretzel géant et sauter dans un taxi. Elle sort son téléphone pour échapper à la sentence, et appelle la mère patrie.

- Bon alors, on fait quoi ? On va où ? T’as tout prévu j’espère, je te suis les yeux fermés c’est toi le lider máximo. Le seul truc que je veux absolument faire, c’est ne rien décider. Ah et aller dans ces fameuses boutiques mystérieuses dont tu m’as tant parlé.
- Ca roule, je m’occupe de tout. Mais je n’ai rien de très révolutionnaire à te proposer, le mur est déjà tombé.

Merde, déjà à court de bretzel, et pas une baraque à saucisse en vue. Ca casse un peu le mythe. Bon, tant qu’on y est, mangeons bulgare et finissons-nous au Schnaps. Blâm, cinq heures du matin, le jour s’apprête à tomber et nous avec. Le nez dans des cocktails, la tête dans les étoiles, les fils de l’univers se resserrent et la toile reprend forme un bref instant. Les gens se marient, créent des entreprises, se séparent, boycottent les conventions Star Trek. On les imagine vivre, un petit peu, de très loin, et c’est presqu’aussi rafraîchissant que la neige qui tombe à gros flocons dehors. Elle tient autant l’alcool que moi ; pas du tout.

- On se lève à 10 heures, comme ça on profite au maximum okay ?
- Okay.

Il est midi et elle sort de la douche. Ses cheveux frisent avec l’humidité, tandis que son visage reprend des couleurs au fur et à mesure que les tasses senseo vides s’empilent sur fond de café del mar. Dehors il neige toujours, mais ça ne tiendra jamais, il fait trop chaud. On décide de s’enfiler des kilomètres de rues marxistes, d’avenues léninistes et de places rouges. Pour rester dans la thématique, on s’enfile aussi une pizza. Le temps passe vite, et si le champ des possibles est toujours grand ouvert, les boutiques elles sont toutes fermées. Et les gens restent cloîtrés chez eux ou dans les cafés, parce que finalement elle tient, la poudreuse.

- C’est pas très joli quand même, comme ville, si ? J’ai raté un truc ?
- Non. Ca a été entièrement détruit il y a moins d’un siècle. Rayé de la carte. Depuis, ils ont décidé d’en faire un lieu agréable à vivre, mais pas à regarder. C’est pour ça qu’il y a un Starbucks à chaque coin de rue, mais aucun bar lounge.

La journée se termine sur une révélation : en Thaïlandais, le mot “Phad” indique un plat à base de nouilles. Elle commande donc son Phad Priaw Waan, et on lui apporte du riz. C’est pas grave, elle se vengera dans deux heures avec un autre plat. C’est important de dévorer à des horaires réguliers. Chez les sauvages on fait ça, on mange toutes les vingt-quatre heures, sans faute. À plus ou moins douze heures près. Passage éclair de la Thaïlande à la démocratie chinoise, sur laquelle on ne tombe décidément pas d’accord. Le bar autour de nous fume et hurle jusqu’au milieu de la nuit. On se réveille en silence une poignée d’heures plus tard.

- On va tenter un musée aujourd’hui. Ca serait con de rater ça.

Finalement, on fera des photos sous la neige et on écumera les franchises lacto-caféinées. Pour la culture on repassera, mais on s’en fout, c’est bien comme ça aussi. Et on finit là où on a tout commencé, dans un aéroport.

- Bon c’est bien beau tout ça mais quand même tu fais chier avec ton intégrisme culinaire à deux balles. On aurait pu manger au moins une fois au Burger King.
- Euh, sept lettres ?
- Pas mieux– hein quoi ?
- Pétasse…

lundi, janvier 26 2009

Onychophagie

Montréal, Avr. 2006

Minuit. Il est encore un peu tôt pour sortir, mais il est trop tard pour renoncer. Il fait froid dehors – chaque soupir, chaque respiration s’évapore en petits nuages blancs. Idées noires, assorties à la tenue ; préparation mentale, soirée gothique.

Fouille à l’entrée, c’est inhabituel. Les gens devant sont un poil bourrés. Passé le vestiaire, un rapide tour des salles ; dans trois d’entre elles, le DJ fait danser des spectres. Dans les deux autres, on se dandine sur Depeche Mode ou sur des papis du métal. Une jeune fille en corset noir attire les regards. Black celebration est promu hymne de beauté, puis s’évanouit alors qu’elle embrasse son ami. …and torture for me.

Première bière. Au plafond, en guise de décoration, on a suspendu un vieux treillis. La musique est beaucoup trop forte, il fait bon à l’intérieur. Et toujours ce froid, qui ne part pas. Allez, un peu de hard rock pour faire diversion. Une charmante princesse se démène au milieu de la piste, sémillante. Une Karen Chéryl modèle réduit débarque en robe blanche, mais ne fait pas tourner les têtes, à son grand désarrois.

Deuxième bière, les corsets pigeonnent et les garçons badinent. Exercice de style : imiter le pilier qui soutient fièrement le plafond, à deux pas du bar. Une élégante robe à motifs chinois salue ses amies. Coup d’oeil timide, de longs cheveux bruns, un joli sourire. La salle se vide et la bouteille avec. Le punk allemand n’a pas grand succès ce soir.

Troisième bière, changement d’ambiance. People are people, décidément. Karen Chéryl suit le mouvement et tente de s’imposer, sans plus de succès. Dans ses pas, charmante princesse. Qui a l’air triste, soudain ; mademoiselle corset noir capte toute l’attention. Presque toute. Le DJ balance des vidéos faites maison, on ne sait plus à quel David Gahan se vouer. Pour éviter la fracture oculaire et un fou rire déplacé, on se jette dans la foule – corps, âme et bière.

Frisson. Les amies de la robe chinoise la précèdent. Murmures, au milieu du vacarme. Elle boirait probablement un verre. Regards croisés, statufication. Aux grands maux les grands remèdes ; quatrième bière, master and servant, pied gauche, pied droit, danse danse danse, let’s play… Une cascade de cheveux bruns suit le mouvement, d’un peu loin d’abord, puis de moins en moins. Comment dit-on déjà… Non ça ne vient pas. L’heure tourne, c’est l’alcool sûrement.

Un type un peu baraque l’approche alors qu’elle vient de retrouver sa troupe sur le bord de la piste. Monsieur moral marche dans les pas du sieur courage et change de salle. Highway to hell ; garçons et filles font du head banging et les murs leur tiennent tête. Tout est un peu flou, et le fantôme d’une discrète robe de soie fait le tour de la piste avant de disparaître. Il est l’heure d’en faire autant. Second mirage en trois minutes, un joli visage dans une robe noire récupère son manteau au vestiaire. Le temps de retrouver le jeton et l’instant est passé.

Avance rapide, dans les rues berlinoises. Une voiture pétarade au feu rouge. Vert. Rouge. Improbable. Oeillade au passager. À la passagère. En robe sombre. Longue chevelure. Malaise, perplexité. Vert. La voiture file tout droit, tandis qu’à gauche, le boulevard appelle le piéton… Longue marche solitaire, questionnements, amertume. Au prochain croisement, un moteur s’étouffe. Une seconde de trop, le nez collé au bitume. Par la fenêtre, une robe chinoise observe ; point mort, première, seconde et dernière chance. Ratée.

Everything counts. But not tonight. Leave in silence.

lundi, janvier 19 2009

Ratiocination

Guadeloupe, Mai 2005

Dix choses à ne pas faire en tête à tête avec une fille :

  1. Poser votre mobile en évidence sur la table en arrivant. Il est mieux dans votre poche, vous pourrez vous passer de l’heure ce soir et vos amis rappelleront.
  2. S’étirer toutes les trois secondes, et ponctuer le reste du temps de bâillements. On s’en fout que vous n’ayez pas fermé l’œil la nuit d’avant.
  3. Dire que non merci vous n’avez pas faim, vous allez juste reprendre un verre, alors qu’elle commande son deuxième plat. Faites au moins semblant d’ignorer vos crampes d’estomac et commandez une soupe.
  4. Se ronger les ongles. Souvenez-vous, vous n’avez pas faim, vous êtes détendu, et vous buvez ses paroles. Laissez donc la kératine aux chimistes.
  5. Déclarer “je suis athée” d’un air blasé et entendu quand elle essaie de vous expliquer combien la religion est un fondement de son identité nationale et personnelle. Autant lui jeter à la figure que vous la méprisez.
  6. Oublier de lui poser des questions en retour des siennes. Surtout si votre réponse était décousue, inintelligible, et merveilleusement ennuyeuse. Un long silence embarrassé devrait vous mettre la puce à l’oreille.
  7. Se moquer d’elle à plusieurs reprises parce que c’est quand même fou de ne pas parler français quand on a appris l’espagnol, le portugais et l’italien. Même gentiment dit, c’est idiot. Alors si en plus vous ne parlez pas un traitre mot de sa langue natale…
  8. Avouer qu’il vous est pénible de rester trois heures à table. Au bout de deux heures trente. À table. Même si vous vouliez parler des réunions de famille mortelles pendant lesquels votre oncle Roger fait des blagues racistes et votre tante Claudette vous explique que les gothiques sont de dangereux psychopathes.
  9. Disserter sur la crise économique vue sous l’angle des constructeurs automobiles. Le propre d’une crise, c’est qu’on en parle déjà trop le reste du temps. Et les bagnoles n’ont jamais été un sujet de discussion, tout au plus un moyen de locomotion.
  10. Passer plus de temps à contempler la pluie qui tombe dehors qu’à la regarder elle.

lundi, janvier 12 2009

Néphélomancie

Budapest, Jan 2008

Pour un sauvage, discuter avec un inconnu est une épreuve de tous les instants ; il faut trouver une amorce, anticiper les prochaines questions, parler un peu de son nombril sans oublier d’en quitter l’orbite au plus vite pour éviter de météoriter le dialogue. Ceci étant, avec un peu d’entraînement, l’exercice se révèle possible, et quelques fois limite agréable – les choses se passent t’entends?.

Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes francophones. Allez, même peut-être anglophones (yes we can, indeed). Sauf que, prenez les mêmes protagonistes (deux anonymes, dont un sauvage), et remplacez le français (ou l’anglais, si vous êtes patient) par un savant mélange de germanophonie (petite musique angoissante). Ben tout de suite, ça prend une autre tournure. Illustration avec un dialogue parfaitement bateau, comme on peut en entendre tous les soirs en bas de chez soi :

- Salut, ça va ? c’est cool hein cette soirée ?
- Ouais grave, et la musique est trop classe en plus, il déboite cet orchestre russe !
- Clair ! On m’a dit que c’étaient des amis de la patronne. Je m’appelle Fille à propos !
- Moi c’est manu sauvage. C’est joli comme nom ca, Fille. C’est local ?
- Pas du tout, c’est Ouslokaze. Et manu sauvage, c’est quoi ?
- Français. Mais chuut, faut pas le répéter, après les gens vont me proposer de la baguette et me demander de chanter du Mireille Mathieu
- Ah ah ! Elle est super connue en Ouslokazie Mireille, elle remplit les stades. T’aimes pas ?
- Nan pas vraiment non. Mais j’ai vu son dernier concert, le soir de l’élection de Sarkozy, on était tous bien bourrés, et on s’est mis à pleurer.
- Ouah, c’était émouvant ?
- Nan, plutôt déprimant. Hé on va danser au lieu de parler de vieilles starlettes sur le retour ?
- Davai !

Et voici maintenant le même, en version allemande (sauvagement doublée, mais promis ça vaut bien une traduction babelfish. En moins drôle peut-être.)

- Salut, ça va ? c’est cool hein cette soirée ?
- Oui !
- T’aime bien la musique ? C’est des amis de la patronne il parait !
- Ah, oui.
- Hé tu veux mon numéro ?
- Hein ?
- Tiens, mon nom c’est Fille, voilà mon numéro !
- …

C’est beau comme un dialogue de Léonardo dans Tétanique.

Partant de là, le truc c’est de trouver le moyen d’aller de l’avant. Vous vous doutez bien qu’un papier dans une poche ne fait pas une histoire d’un soir, et encore moins une histoire d’amour. À dire vrai, ça ne fait même rien, si ce n’est vous affubler d’une mine hébétée et vous donner des airs d’idiot du village essayant de lire le texte du traité de Lisbonne. Normalement, le remède pour ce genre de cas, c’est de dire ce qui vous passe par la tête, plus ou moins.

T’as qu’à vivre avec moi ? J’ai un chouette appartement, je ne suis pas chiant, je gagne décemment ma vie, j’ai une famille super gentille, et j’ai envie de faire plein de voyages. Bon évidemment il faut que tu supportes de regarder des comédies romantiques, mais en échange je fais la vaisselle. Ah et je perds un peu mes cheveux.

La seconde solution, c’est de réorienter le sujet, histoire de partir sur un sujet qu’on maitrise mieux que la téléphonie mobile :

T’as lu Trois leçons sur la société post-industrielle de Daniel Cohen ? C’est brillant, je te jure, ça m’a ouvert les yeux sur le monde actuel

Ou alors vous pouvez aussi garder le silence suffisamment longtemps pour que ça en devienne gênant, et prétexter que vous travaillez le dimanche (merci président) pour rentrer chez vous tranquillou et finir le pot de nutella de 750g que vous venez d’ouvrir.

Comme ne le disait pas ma grand-mère, sauvage un jour, sauvage toujours.
Et célibataire pour longtemps, à ce rythme.

dimanche, janvier 4 2009

Anachorétisme

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Tu as l’air un peu triste. Ça ne te va pas au teint, tu devrais porter un sourire. Je sais bien, c’est pas facile d’être parfaitement heureuse quand on accompagne un couple d’amis pour le réveillon et qu’ils dansent sur shiny happy people. Mais regarde le bon côté des choses… un peu plus à gauche… voilà, exactement. Bon en revanche il faut que j’arrête de te dévisager sans rien dire ou ça va devenir bizarre très bientôt.

Happy happy put it in your heart!

Cette petite moue encore. Craquante. Monsieur sauvage, cessez de la dévorer des yeux comme ça, elle va finir par vous prendre pour un dangereux malade

- Möchtest du tanzen?

Bien sûr que je veux danser. Toute la nuit même, pour chasser ce froid qui ne part pas. Mais ça ne va pas être simple maintenant que je suis tétanisé. Je vais te répondre, je le jure, un truc gentil pour te redonner le sourire. Mais déjà je pourrais acquiescer, ça serait un bon début. Comment on dit oui en allemand déjà ?

- Excuse me, I don’t speak German

T’aurais pu lever les yeux au ciel et lui tourner le dos aussi, ç’aurait été la grande classe.

Elle m’attrape les deux mains et répète en anglais. Je ne suis pas sûr de bien comprendre, on vient de m’amputer du cerveau et mon double inconscient regarde la scène de loin, incrédule. Sourire, danse un peu raide. Elle a les mains froides, c’est agréable.

- Let’s go somewhere else! I hate R.E.M.

Ça a le mérite d’être direct. En même temps il reste plein d’autres groupes sur terre.

Changement d’ambiance, cinq salles en trois minutes. Dehors les gens font du head banging sous la neige, sur un morceau de Rage Against The Machine.

- So what do you do? Do you like the music? Sprichst du wirklich kein Deutsch?

Je ne sais pas ce que je fais, vraiment, mais s’il te plait ne fuis pas. Je suis mutique, je sais – c’est compliqué. Je te promets de ne pas te raconter, et on va détourner les yeux de nos cicatrices. T’es jolie comme un coeur, je me demande à quoi ressemble ton histoire. Tes amis se moquent de moi gentiment. En même temps de quoi j’ai l’air ? D’un collégien maladroit, sûrement…

Le DJ enchaine, Put your hands up in the air. Elle ne semble pas tout à fait d’accord et dirige les miennes.

C’est agréable. Ça me manque. Et tu es très attirante. C’est juste que… imagine, j’ai déjà du mal à faire la bise à mes amies pour leur dire bonjour. Enfin t’en as pas grand chose à faire de tout ça. Et puis j’ai dit que je ne te raconterais pas ma vie en plus. Tes cheveux sentent bon…

Trois heures plus tard, elle chipe mon téléphone, compose son numéro, s’appelle, me rappelle et disparaît au coin de la rue.

vendredi, décembre 26 2008

Péroraison

Oslo

manu manu sauvage donc. Un peu en vrac, comme ses cheveux, ses dents, et ses idées de projet, mais bien déterminé à mettre de l’ordre dans tout ca. Totalement transparent et complètement opaque, aurait dû faire de la politique pendant la guerre froide. Perd beaucoup trop de temps à fixer son écran, cliquer sur Actualiser, remplir des TODO, regarder les mails s’accumuler tout en râlant parce qu’il n’en recoit jamais assez. A tendance à collectionner de la musique, mais finit toujours par écouter de la soupe quand il doute. Doute beaucoup, Assume Philippe Léotard. Nie en revanche avoir jamais écouté Zazie. Y compris en duo avec Axel Bauer ou Diams. N’est pas un grand fan du name dropping, mais fait beaucoup de title sneaking. Utilise des termes anglais ridicules.

S’il était un animal, serait probablement déjà digéré par son prédateur. Ou alors un hippocampe. Ne pourrait en revanche jamais être une plante, n’ayant jamais bien supporté les petites bêtes. S’il était encore humain, trouverait le sommeil en trente secondes, même debout. S’est récemment transformé en cyborg. Ou en zombie, on ne sait plus bien. Peut-être même en cosmopolitan. Un truc avec de la vodka ou du gin en tous cas. Noir sans sucre, merci.

N’a rien à dire, de toute évidence. Mais va essayer quand même, ne serait-ce que pour honorer la vieille devise de Pierre Carion.

mardi, décembre 23 2008

Écholalie

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Quelque chose cloche. Les rues sont désertes, les magasins vides, les queues aux caisses raisonnables. Les gens sourient, presque, devant moi un jeune couple s’embrasse dix fois, vingt fois par minute. Ils sont totalement ailleurs. First it giveth then it taketh away. Ah ouais hé yeah. Je n’arrive pas à comprendre comment l’enfer sur terre est devenu si supportable.

Quelque chose ne tourne pas rond. Cette FNAC devrait être en ébullition, assaillie et en rupture de stock. Cette station de métro devrait dégueuler des usagers, et la place carrée bon sang, pourquoi est-il possible d’y retrouver quelqu’un aujourd’hui ? Il me reste de l’argent sur mon compte, des idées plein la tête, et ce grand vide qui résonne fort. Bigger? my, my…

Quelque chose à faire, toujours trouver quelque chose à faire. Ne pas lui laisser le temps de s’installer, il faut bouger, remuer le ciel, la terre et son corps. Accentuer la frénésie, envoyer des SMS, sourire. Optimiste, aucun doute là dessus. I’m diggin for fire. Super, non, ultra enthousiaste, c’est bien. Quitte à aller voir tout ce qui passe au cinéma, même les films pour enfants. Ne pas respirer. Pas trop.

Quelque chose va de travers, au moment où j’ai le plus besoin de me perdre dans la cohue permanente de la capitale, seuls trois fantômes errent sur les trottoirs. La crise a décidément des effets positifs, et je marche en vidéo-inverse sous un ciel lumineux. Les mains dans les poches, l’estomac dans la gorge, les yeux rivés à mes pieds. Moskau. Étincelle de joie, ne pas noyer les bougies. Ca devrait aider à la formation des pattes d’oie au coin des yeux.

Quelque chose dans cette rue, trois petits riens et puis s’en va. Des fleurs, des sous-vêtements, ce parfum, un kiosque à journaux, une poussette tout-terrain. Supersonic Lovetoy, prendre à gauche au prochain croisement et quatre dix-sept de plus en bleu.

Quelque chose m’échappe… Why the fuck, why the fuck, are you looking at me, mes petits pavés chéris ? J’ai pas pris mon appareil aujourd’hui, prière de ne pas être photogéniques. Bon dieu mais vous m’écoutez quand je vous parle ?

Quelque chose d’improbable. manu ? That’s not my name! manu ? That’s not my name! manu ! Say what?

Oh bonjour les filles !

lundi, décembre 22 2008

Lallation

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Boire une bière dans un club de Jazz à New-York, photographier chaque détail qui m’entoure et réussir à le rendre beau, parler couramment cinq langues, apprendre le russe, rouler des heures sans destination précise, avoir 14 heures de décalage horaire, lézarder sur une plage les pieds dans une eau à plus de trente degrés, arrêter de boire, rentrer complètement saoûl bien après le lever du soleil, faire du crowd surfing, écouter de la musique trop fort, ne pas me lever le matin, travailler comme un forcené jusqu’à épuisement total, me replonger dans le web, oublier mon ordinateur, apprendre à jouer d’un instrument, slalomer en rollers entre les voitures, lire tous mes livres, acheter tous ceux que je n’ai pas encore, visiter le Louvre, cuisiner toute la journée, dévaliser un fromager, aller ramasser des champignons sous la pluie d’automne, réciter un poème, retourner à l’école, recommencer à enseigner, mépriser ostensiblement les cons, ne jamais être méprisant, programmer quelque chose d’utile, changer ma garde-robe, refaire le monde à deux toute la nuit, passer toute la journée au lit, faire tomber tous les masques, jouer au chat et à la souris, lire Goethe dans le texte, m’expatrier en Amérique du nord et porter fièrement les couleurs de la France, vivre dans un pays chaud, acheter un loft à Paris, m’engager en politique, comprendre le monde qui m’entoure, ne jamais laisser tomber personne, changer de parfum tous les jours, manger bio, arriver à me souvenir du nom du film que je viens de voir, crier à pleins poumons, courir, fuir, aimer, fantasmer, m’embraser, oser, encore.

Fermer les yeux et dormir.