Minuit. Il est encore un peu tôt pour sortir, mais il est trop tard pour renoncer. Il fait froid dehors – chaque soupir, chaque respiration s’évapore en petits nuages blancs. Idées noires, assorties à la tenue ; préparation mentale, soirée gothique.
Fouille à l’entrée, c’est inhabituel. Les gens devant sont un poil bourrés. Passé le vestiaire, un rapide tour des salles ; dans trois d’entre elles, le DJ fait danser des spectres. Dans les deux autres, on se dandine sur Depeche Mode ou sur des papis du métal. Une jeune fille en corset noir attire les regards. Black celebration est promu hymne de beauté, puis s’évanouit alors qu’elle embrasse son ami. …and torture for me.
Première bière. Au plafond, en guise de décoration, on a suspendu un vieux treillis. La musique est beaucoup trop forte, il fait bon à l’intérieur. Et toujours ce froid, qui ne part pas. Allez, un peu de hard rock pour faire diversion. Une charmante princesse se démène au milieu de la piste, sémillante. Une Karen Chéryl modèle réduit débarque en robe blanche, mais ne fait pas tourner les têtes, à son grand désarrois.
Deuxième bière, les corsets pigeonnent et les garçons badinent. Exercice de style : imiter le pilier qui soutient fièrement le plafond, à deux pas du bar. Une élégante robe à motifs chinois salue ses amies. Coup d’oeil timide, de longs cheveux bruns, un joli sourire. La salle se vide et la bouteille avec. Le punk allemand n’a pas grand succès ce soir.
Troisième bière, changement d’ambiance. People are people, décidément. Karen Chéryl suit le mouvement et tente de s’imposer, sans plus de succès. Dans ses pas, charmante princesse. Qui a l’air triste, soudain ; mademoiselle corset noir capte toute l’attention. Presque toute. Le DJ balance des vidéos faites maison, on ne sait plus à quel David Gahan se vouer. Pour éviter la fracture oculaire et un fou rire déplacé, on se jette dans la foule – corps, âme et bière.
Frisson. Les amies de la robe chinoise la précèdent. Murmures, au milieu du vacarme. Elle boirait probablement un verre. Regards croisés, statufication. Aux grands maux les grands remèdes ; quatrième bière, master and servant, pied gauche, pied droit, danse danse danse, let’s play… Une cascade de cheveux bruns suit le mouvement, d’un peu loin d’abord, puis de moins en moins. Comment dit-on déjà… Non ça ne vient pas. L’heure tourne, c’est l’alcool sûrement.
Un type un peu baraque l’approche alors qu’elle vient de retrouver sa troupe sur le bord de la piste. Monsieur moral marche dans les pas du sieur courage et change de salle. Highway to hell ; garçons et filles font du head banging et les murs leur tiennent tête. Tout est un peu flou, et le fantôme d’une discrète robe de soie fait le tour de la piste avant de disparaître. Il est l’heure d’en faire autant. Second mirage en trois minutes, un joli visage dans une robe noire récupère son manteau au vestiaire. Le temps de retrouver le jeton et l’instant est passé.
Avance rapide, dans les rues berlinoises. Une voiture pétarade au feu rouge. Vert. Rouge. Improbable. Oeillade au passager. À la passagère. En robe sombre. Longue chevelure. Malaise, perplexité. Vert. La voiture file tout droit, tandis qu’à gauche, le boulevard appelle le piéton… Longue marche solitaire, questionnements, amertume. Au prochain croisement, un moteur s’étouffe. Une seconde de trop, le nez collé au bitume. Par la fenêtre, une robe chinoise observe ; point mort, première, seconde et dernière chance. Ratée.
Everything counts. But not tonight. Leave in silence.