Nycthémère

Montréal, Avr. 2006

À croire que tout le monde faisait grève ce jour là. Les cheminots allemands, les aéroports français, l’intelligence des clients. Un véritable complot.

La voilà qui arrive ; trois heures de retard, un mètre quatre-vingt dix-sept. À peine sortie, elle commence à s’exprimer dans un allemand impeccable, à en faire verdir de jalousie un sauvage. Une seule solution pour ne pas passer pour un gros naze : l’étouffer avec un bretzel géant et sauter dans un taxi. Elle sort son téléphone pour échapper à la sentence, et appelle la mère patrie.

- Bon alors, on fait quoi ? On va où ? T’as tout prévu j’espère, je te suis les yeux fermés c’est toi le lider máximo. Le seul truc que je veux absolument faire, c’est ne rien décider. Ah et aller dans ces fameuses boutiques mystérieuses dont tu m’as tant parlé.
- Ca roule, je m’occupe de tout. Mais je n’ai rien de très révolutionnaire à te proposer, le mur est déjà tombé.

Merde, déjà à court de bretzel, et pas une baraque à saucisse en vue. Ca casse un peu le mythe. Bon, tant qu’on y est, mangeons bulgare et finissons-nous au Schnaps. Blâm, cinq heures du matin, le jour s’apprête à tomber et nous avec. Le nez dans des cocktails, la tête dans les étoiles, les fils de l’univers se resserrent et la toile reprend forme un bref instant. Les gens se marient, créent des entreprises, se séparent, boycottent les conventions Star Trek. On les imagine vivre, un petit peu, de très loin, et c’est presqu’aussi rafraîchissant que la neige qui tombe à gros flocons dehors. Elle tient autant l’alcool que moi ; pas du tout.

- On se lève à 10 heures, comme ça on profite au maximum okay ?
- Okay.

Il est midi et elle sort de la douche. Ses cheveux frisent avec l’humidité, tandis que son visage reprend des couleurs au fur et à mesure que les tasses senseo vides s’empilent sur fond de café del mar. Dehors il neige toujours, mais ça ne tiendra jamais, il fait trop chaud. On décide de s’enfiler des kilomètres de rues marxistes, d’avenues léninistes et de places rouges. Pour rester dans la thématique, on s’enfile aussi une pizza. Le temps passe vite, et si le champ des possibles est toujours grand ouvert, les boutiques elles sont toutes fermées. Et les gens restent cloîtrés chez eux ou dans les cafés, parce que finalement elle tient, la poudreuse.

- C’est pas très joli quand même, comme ville, si ? J’ai raté un truc ?
- Non. Ca a été entièrement détruit il y a moins d’un siècle. Rayé de la carte. Depuis, ils ont décidé d’en faire un lieu agréable à vivre, mais pas à regarder. C’est pour ça qu’il y a un Starbucks à chaque coin de rue, mais aucun bar lounge.

La journée se termine sur une révélation : en Thaïlandais, le mot “Phad” indique un plat à base de nouilles. Elle commande donc son Phad Priaw Waan, et on lui apporte du riz. C’est pas grave, elle se vengera dans deux heures avec un autre plat. C’est important de dévorer à des horaires réguliers. Chez les sauvages on fait ça, on mange toutes les vingt-quatre heures, sans faute. À plus ou moins douze heures près. Passage éclair de la Thaïlande à la démocratie chinoise, sur laquelle on ne tombe décidément pas d’accord. Le bar autour de nous fume et hurle jusqu’au milieu de la nuit. On se réveille en silence une poignée d’heures plus tard.

- On va tenter un musée aujourd’hui. Ca serait con de rater ça.

Finalement, on fera des photos sous la neige et on écumera les franchises lacto-caféinées. Pour la culture on repassera, mais on s’en fout, c’est bien comme ça aussi. Et on finit là où on a tout commencé, dans un aéroport.

- Bon c’est bien beau tout ça mais quand même tu fais chier avec ton intégrisme culinaire à deux balles. On aurait pu manger au moins une fois au Burger King.
- Euh, sept lettres ?
- Pas mieux– hein quoi ?
- Pétasse…

Commentaires

1. Le jeudi, février 5 2009, 03:14 par Klaims

Un mètre quatre-vingt dix-sept ?!

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