Musique indémodable

Visions of future pop

Selon certaines personnes dont nous tairons le nom, des gens comme Brel, Brassens et Coluche seraient terriblement actuels. Et donc indémodables. Ce qui justifierait qu’on les écoute mieux, qu’on les redécouvre, qu’on en tire la substantifique moëlle. Je relève donc le défi : aujourd’hui nous analyserons “Mon vieux Lucien”, d’Edith Piaf. (Exercice : si vous êtes courageux, lisez le texte intégral.)

Quelle chance que t’as d’avoir, Lucien, un vieux copain comme moi. / Moi, tu m’connais, j’aime rigoler et m’amuser, pas vrai ?

D’emblée, on note que Lucien est un prénom parfaitement moderne. Ca ne mange pas de pain – mais à vrai dire on ne sait plus bien ce qu’ils mangeaient à l’époque.

Mais tu n’ dis rien. Tu m’ laisses parler. J’ te connais bien. Tu m’ fais marcher. / Moi ça n’ fait rien. Tu peux y aller, mais maintenant, ça va, et dis-moi pourquoi / Tu fais cette tête-là comme ça ? mais… Regarde-moi… T’as les yeux gonflés. / Je t’ai réveillé ? Ah non ! T’écrivais à ta Bien-aimée… / Qu’est-ce que tu caches là ? Là…dans ton tiroir… Eh ben, quoi, fais voir !

Notre charmant Lucien semble un brin déprimé, au point qu’il cache un pistolet dans son tiroir (ou peut-être s’agit-il d’une guillotine de poche). C’est que, voyez-vous, il écrit à sa Bien-Aimée, et il a un peu du mal à aligner les mots. Du coup ça lui fout le moral en vrac – ce qu’on comprend aisément.

Pour ne rien arranger, son “copain” le saoule grave là tout de suite, et s’il pouvait la fermer un peu ça serait déjà ça de pris. On sait en outre que ce gros lourd a ramené toute sa bande, et qu’ils attendent vraisemblablement derrière la porte de Lucien. Dans ces conditions, le pauvre n’est pas près de finir sa lettre. En revanche, il est probable qu’à très court terme il fasse usage de son arme – et pas nécessairement de la façon attendue. Un pistolet – ou une guillotine de poche – lancé(e) à bout portant est très efficace, surtout quand la cible se trouve à moins d’un mètre (ce qui est statistiquement le cas : Lucien est de toute évidence parisien et habite dans une chambre de bonne).

…Lucien !… Eh bien quoi, Lucien !… Donne-moi c’ que t’as dans la main ! / Ah ! C’t’agréable, d’être ton copain ! / Ah non, Lucien ! / Allez… / Viens !…

La chanson se termine par la démission de Lucien, qui ne finira pas son courrier aujourd’hui. L’histoire ne dit pas s’il mettra une beigne à son “copain”.

***

Première impression : ce texte est effectivement très moderne. Il aborde sans complexe deux problématiques archi intemporelles : l’amour et la mort. Le seul souci, c’est qu’il faut être en mesure de lire le vieux français ; certains termes ont en effet dévié de leur signification d’origine, et le contexte permettant de se réapproprier le sens est généralement perdu.

Je vous propose donc ci-après une retranscription, afin d’aider nos jeunes lecteurs nés après 1947 à mieux saisir l’idée générale :

T’as du bol Jean-Romain, d’avoir un pote comme moi.
T’sais comment j’suis, j’pars grave en live des fois
Ben ce soir, pour déconner, j’te jure quoi,
J’ai dit aux autres: “on va squatter chez Jean-Romain!”

T’as du bol, Jean-Romain, de m’avoir comme pote,
Franchement sans m’vanter ‘chuis quand même trop cool
Ben quoi tu dis rien, vas-y tu déconnes !
OK lâche l’affaire, c’est bon. Mais vas-y quoi ?
Pourquoi tu tires la tronche là allez !?
Franchement, spa cool, t’es bourré ou bien ?
Bon quoi mais lâche ton facebook, c’est qui elle d’abord ?
Mais vas-y c’est qui, elle est trop bonne !
Hé man pourquoi t’as un pull, y fait quarante dehors,
Et c’est quoi ce cutter pourri là, ah mais c’est dégueu…

T’as viré Emo ou quoi ? T’es fou dans ta tête ?

Franchement t’as trop du bol de m’avoir comme pote, Jean-Romain,
J’te connais comme si que j’t’avais fait, tu vois,
‘chuis comme un frère pour toi, on s’dit des trucs trop intimes,
Genre tu kiffes 50 cents et tout– c’est qui c’te meuf sur ton myspace ?
Bon lâche l’affaire et ramène toi, on va picoler avec les autres

Mais t’as trop d’la veine mon vieux, comment qu’on s’poile tous les deux,
Un peu plus j’ai cru qu’tu virais trop dark, l’autre hé
Bon allez, j’me tire, ciao fréro. Et arrête de faire la gueule putain,
Viens donc boire des coups et mater l’roi Heenok sur youtube
Tu m’déprimes grave là avec ton Evanescence pourri,
Tu vas m’faire crever

Jean-Romain, hé, Jean-Romain bordel quoi ! Lâche ton cutter là !
Putain mais tu m’fous la honte là arrête,
C’est pas bon esprit, t’es pas flat mon gars
Jean-Romain, oh !
En plus Marie-Ernestine ça s’écrit avec un Y.
Et ça tiendra jamais sur ton bras.
Bouffon vas !

Commentaires

1. Le lundi, juin 15 2009, 22:58 par suzanne

Heureuse de voir que tu n’as pas changé :)

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