Marée montante

Gare de l'Est, Paris, août 2009

Je ne tourne pas rond. Ça fait cinq minutes que je regarde le carrelage de la douche en marmonnant. “Putain, putain, putain, putain, arrête, putain, arrête, putain, putain, putain, arrête, déscotche…”. Je monte la température, l’eau me brûle la nuque, faut que je sorte m’aérer la tête.

Attends tu peux pas sortir comme ça, t’as vu ta tronche ? Coiffe-toi, passe une chemise assortie, mets un peu de parfum, tu ressembles à rien, que vont penser les gens ?

Mais attends je m’en fous bordel de ce qu’ils vont penser, de toutes façons même si j’étais dans leur tête je ne comprendrais pas un traitre mot. Je vais aller courir avec mon vieux futal orange délavé et tant pis si ça leur pique les yeux. Au pire je leur dirai “l’ecchymose du lobe frontal meurtrit l’apoplexie et pourrit les synapses jaunes du crétacé à poil long” quand ils me feront une réflexion, ça devrait les arrêter net.

Non mais si tu croises un collègue ? Si on t’appelle à l’improviste pour boire un verre ? Tu peux pas sortir comme ca. En plus t’as pas fait le tour du problème, c’est pas très rationnel ta façon de réagir.

Parlons-en tiens, de rationnel. C’est rationnel de mettre le bonheur des autres devant le sien peut-être ? C’est rationnel de tout intérioriser au point de t’en coller des crampes au bide ? C’est rationnel de ne pas arriver à dire merde et claquer deux trois portes au nez ? Et puis des gens qui m’appellent à l’improviste, ça n’arrive pas ici. Ça fait trois ans que je l’espère ce coup de fil, ça n’arrivera pas. Non il est temps de tout envoyer chier un peu.

Tu sais bien que ca n’est pas possible, allez. Reste pragmatique, c’est ce qui fait que tu es qui tu es. T’as déjà essayé l’égoïsme, y’a dix ans, et tu t’en veux encore. Tu ne peux pas aller contre ton identité propre. Essaie juste de comprendre ce qui se passe, pourquoi tu pars en couille. Mets-toi un peu de métal si ça aide, mais concentre toi.

Mais putain tu crois que j’ai pas essayé déjà de me concentrer ? Même bourré j’y arrive plus. Pendant quasiment trente ans j’ai pu m’endormir debout sous une enceinte crachant 120 décibels, mais là j’arrive même plus à dormir quatre heures d’affilée dans un caisson isolé. Il est temps, je te dis, plus que temps de changer un truc.

Allez sois pas idiot, tu sais très bien ce qui se passe et c’est humain, Mais vois le bon côté des choses, t’as un boulot bien payé en pleine crise, un appartement génial pour pas cher, t’as vraiment pas de quoi te plaindre. Il y a une explication simple et logique à tous tes problèmes, réfléchis

Il y a une tache sur ce miroir. Une tache. Ça m’agace. Une tache. tache. Putain, déscotche bordel, ça n’est qu’une tache. Stop, putain, putain, arrête, arrête, arrête putain, arrête, déscotche putain putain putain.

Stop.

Commentaires

1. Le jeudi, août 13 2009, 10:11 par perrine

Ben c’est la grande forme dis-moi.
T’as essayé de partir seul à l’autre bout du monde ?
Vraiment loin, pas simplement de l’autre coté du Rhin : Mexique ou Australie au choix.
Ça permet de faire le point seul face à l’immensité du vide, du moins je pense.

2. Le jeudi, août 13 2009, 13:36 par vint4ge

Hey, un peu d’aide ? http://4691.lapetition.be/