Think for yourself...

Müggelsee, Berlin, août 2009

Tranquille sur la plage, il fait beau et je bronze en alternant bouquinage et photos. Je fais bien attention de ne pas mettre trop de sable entre l’objectif et le capteur, sans quoi l’image sera pleine de grain. Je prend encore plus soin du bouquin — c’est pas le mien. Le ciel est d’un bleu incroyable, la lumière qui tombe sur les lieux est un peu magique.

L’oeil dans le viseur, ma vision se trouble. Une masse s’est déplacée juste dans mon champ, et semble s’être arrêtée. Je bougonne et lève le nez ; il y a un type à vingt centimètres de mon objectif, l’air allemand et pas content.

- Eh toi, qu’est-ce que tu photographies comme ça ?

Je suis peut-être nul en teuton, mais si mes années au Kremlin-Bicêtre m’ont appris une chose c’est à reconnaître les racailles qui cherchent la merde. Je passe en mode sourire désarmant de naïveté. Surtout, surtout, ne pas lui donner l’impression à un quelconque moment que je comprends quoi que ce soit de ce qu’il raconte.

- Sorry?

Ça lui coupe un peu l’herbe sous le pied, mais je sens bien que ça n’est pas gagné. Il est tout seul, pas bien grand, j’enclenche la deuxième vague.

- Je ne parle pas allemand, je peux vous aider ?
- (en allemand) Qu’est-ce que tu prends en photo, hein ? Qu’est-ce que tu prends en photo ? Arrête de prendre des photos t’entends ? What you fotografiert?

Je me retiens in-extrémis de lui répondre que là, je vais prendre son gros cul en photo s’il ne bouge pas.

- La plage, mon grand, je prends la plage en photo. Quoi d’autre ? C’est beau la plage, regarde toutes ces couleurs. Pourquoi, il y a un problème ?

Sa tête vient de passer du rouge au pourpre, et il se met à crier. “Arrête de prendre des photos, t’as pas le droit, Arrête de prendre des photos maintenant ok ?!”. Il tape mon objectif du plat de la main, et je lâche l’air naïf pour un regard noir.

- Woah, keep it easy man! C’est mon appareil que tu viens de toucher là connard. Je ne fais rien de mal, je prends juste des photos. C’est pas un crime, et t’es pas dessus, lâche-moi maintenant, ok ?

Il fait demi tour, sa copine l’interroge du regard. Si j’étais parfaitement rationnel, je rangerais mon appareil et on n’en parlerait plus, mais je suis énervé et bien décidé à ne pas me laisser marcher dessus. Le vent se lève, et le bateau gonflable à côté de moi décolle.

Le voilà qui revient à la charge. Il est accompagné d’un type avec un polo aux couleurs du bar de la plage. Zen, je reprends ma tête de gentil paumé pendant qu’il m’explique que je ne peux pas prendre de photos ici, sauf si j’ai une carte officielle de photographe, un mandat de l’administration ou si je suis journaliste. Tout sourire, je lui réponds en anglais que je ne comprends pas. Il me demande quelle est ma profession.

- Écoutez, je ne fais que prendre des photos, si vous voulez les regarder il n’y a aucun problème, vous verrez, je ne suis pas un pervers. Tenez, jetez un œil…

Je tourne mon écran vers eux, leur montre le bateau volant. Ça n’a pas l’air de les émouvoir beaucoup. Le barman me ré-explique que c’est illégal, que je ne peux pas prendre les gens en photo comme ça sans leur consentement. Je ne suis pas censé comprendre, je ne peux donc pas répliquer qu’on est sur un lieu public, qu’à partir du moment où je fais des plans larges c’est pas son affaire, et qu’en plus de ça je me casse la tête pour faire des cadrages avec les gens à contre-jour ou de dos pour éviter tout problème. Je fulmine intérieurement. Mais il fait beau, j’ai envie de lire et de bronzer un peu, et plutôt que d’envenimer le débat et de rameuter la plage tout entière, je tempère.

- Ok listen, regardez autour de vous, tout le monde a un appareil photo là. Alors je vais ranger le mien ; je vois bien qu’il est un peu trop visible pour vous. Mais quand même, je suis sincère : je n’envahis la vie privée de personne et je ne viole aucune loi.

Je range mon appareil, ils semblent satisfaits et s’en vont. Je mets mon casque rageusement et j’attrape mon bouquin. La chanson commence, et je glousse ; mon iPod m’envoie un message.

Think for yourself
Question authority

Throughout human history, as our species has faced the frightening, terrorizing fact that we do not know who we are, or where we are going in this ocean of chaos, it has been the authorities, the political, the religious, the educational authorities who attempted to comfort us by giving us order, rules, regulations, informing, forming in our minds their view of reality. To think for yourself you must question authority and learn how to put yourself in a state of vulnerable, open-mindedness; chaotic, confused, vulnerability to inform yourself.

Think for yourself.
Question authority.

Quatorze minutes et cinq secondes plus tard, je change ma serviette de place et j’enchaine sur la chanson suivante.

Commentaires

1. Le dimanche, août 16 2009, 21:43 par bitonio

Hummm, ça me rappelle vaguement quelques souvenirs (pas forcément qu’à la plage)…

Le truc c’est bien l’appareil qui est “trop” gros et qui attire l’attention. Maintenant, même les journalistes n’ont pas forcément d’accréditation officielle alors que leur job, c’est bien d’être journaliste/photographe…

Bref, après avoir zieuté les photos du Hiboo ou celle de Google Streetview, je me demande bien ce qu’on peut y faire pour se faire plaisir, nous, nobles photographes amateurs ?

1) toi et moi on fait bien du zèle pour rien à shooter des ombres chinoises dès qu’il s’agit de portrait ou de plan permettant de reconnaître les personnes
2) Maintenant, j’y vais au téléobjectif bien visible : c’est plus gros que gros et du coup les gens n’ose pas trop déranger, ils sont même tout mignon :-)
3) il reste l’entrée des salles de concert, où c’est du pif total
4) Pensez focale fixe, focale fixe, focale fixe
5) Shooter à l’aveugle, c’est tout un art mais ça donne parfois de joli résultat comme cette photo : http://www.flickr.com/photos/bitoni…