Il est 8h du matin, la télé est allumée et F. regarde les informations. Je regarde par la fenêtre pour me convaincre qu’il s’est bien écoulé quelques heures, et le spectacle qui s’offre à moi par la fenêtre me coupe un peu le souffle. On descend prendre un petit déjeuner à base de soupe de riz, de piment et de pancakes ; c’est la semaine allemande à l’Asia, mais je n’ai pas trop envie de manger des saucisses de Nuremberg à plus de 8000km de Berlin, curieusement.
Alors que j’examine mon jus d’orange - probablement un liquide radioactif dans lequel on a renversé un pack de sucre - un serveur m’arrache mon assiette et mes couverts. On le regarde en faire de même avec les assiettes de tout le monde, un peu estomaqués. On demande si on peut se resservir quand même et on se moque de nous avec le sourire en confirmant que bien entendu, on peut. F. finit à peine sa deuxième assiette que le serveur lui dérobe son assiette et ses couverts. C’est décidé, on va l’appeler Terminator.
Après avoir vidé les cuisines de l’hôtel et abusé du nettoyage express de Terminator, on file voir la Jim Thomson House, à deux pas. P. et F. y sont déjà allés, mais ils font la visite quand même. Je les soupçonne d’être secrètement amoureux de la guide qui nous raconte l’histoire de ce fabuleux pilleur comme s’il était encore en vie. Visiblement, la grammaire Thaïe ne connait qu’un temps : le présent. Si on ajoute à ça qu’ils sourient tout le temps, c’est vraiment le pays du Carpe Diem.
Jim Thomson, donc, a reconstitué une mini-jungle autour d’une maison typique, qu’il a empruntée à un village, démontée et remontée ici au milieu de Bangkok. Juste à côté il y a un khlong - un canal - et la maison a son propre embarcadère. D’énormes bateau-bus passent régulièrement en lâchant une épaisse fumée noire, et je commence à comprendre pourquoi l’air est si opaque et lourd. En sortant, F. me met dans les mains un M150, version locale et non gazeuse du Red Bull. Quelque chose me dit que je vais vite devenir accro à ce truc.
On mange au Food court, celui-là même qui nous a fermé au nez hier soir, et on profite de ce qu’on est au MBK pour acheter des vêtements pour la jungle, la semaine prochaine. On digère en se baladant sur le Sky Walk, qui longe un moment le Sky Train au dessus des rues de la ville. A côté du type qui a décidé d’ériger cette artère géante de béton au milieu de Bangkok, Haussmann fait figure de type frileux. Vu d’au dessus, Bangkok est complètement schizophrène. La haute technologie côtoie les Soïs surpeuplés, et le réseau électrique n’en finit pas de m’émerveiller. Il est encore un peu trop tôt pour boire une bière, et on finit par se jeter dans la piscine de l’hôtel.
Une heure plus tard je vois tout flou. Je commence par croire que c’est le voile de pollution qui rend le paysage laiteux et indéfini, mais de toute évidence je suis le seul concerné. Et le seul à avoir ouvert les yeux dans l’eau. Malgré tout, on se dirige vers un restaurant Thaï un peu chic et on commande la moitié de la carte. Derrière nous, quelqu’un joue d’un instrument dont le nom m’échappe ; c’est sympathique, mais on n’est pas mécontent de retrouver la rumeur de la ville à la fin du repas. On se dit qu’il est quand même un peu tôt pour se coucher, et on entre au hasard dans le bar en face de l’hôtel. Un groupe local donne un concert de furieux, reprenant des classiques du hard rock en yahourt. Après de multiples fou-rires, on retourne à l’hôtel avec des étoiles dans les yeux. Et, dans mon cas, un résidu tenace de chlore qui n’en finit pas de me défoncer la rétine.