mai 2021

vendredi, mai 28 2021

Ré-équilibrer

Si on m’avait demandé il y a quelques temps de décrire la musique que j’écoute, la dernière chose à laquelle j’aurais pensé c’est “en majorité faite par des hommes”. Et pour cause, on ne voit pas bien le rapport, n’est-ce pas ? La musique, c’est un truc qui prend aux tripes, qui joue avec vos émotions. Quelque chose d’inexplicable qui fait que vous allez passer en boucle un morceau en lisant dans le moindre détail la bio de l’artiste sur Wikipedia.

Et pourtant… Après une rapide analyse au doigt mouillé (pré-trempé dans un tableur), 80% des artistes présents dans ma discothèque sont des hommes. Et c’est particulièrement visible dans mes playlists. Alors quoi, seuls les hommes écrivent des textes qui me touchent ? Composent de la musique qui m’obsède ?

Non. Loin de là même. Si je cherche un truc festif à écouter, je vais souvent m’orienter vers des femmes. Si je réfléchis à des chansons qui m’ont retourné le bide, je tombe encore souvent sur des femmes. Mais ce ne sont pas des morceaux dont je parle ou que je pousse auprès de mes amis. Pas par choix conscient, la plupart du temps, mais parce que j’ai intégré très tôt que c’était un peu honteux d’écouter Britney ou Zazie, par exemple. Et c’est un biais compliqué à déconstruire, parce que pour la plupart des gens, la simple mention de ces noms là vous classe dans la catégorie des personnes de mauvais goût.

Donc plutôt que d’écouter et partager de la musique mainstream (qualificatif péjoratif par excellence), où les artistes féminines sont un peu mieux représentées, je torture parfois les gens avec des machins considérés comme “pointus”, difficiles d’accès, et dominé par des couilles (vous avez essayé de faire écouter Apoptygma Berzerk à des enfants ? C’est un bon test). Et même si je prends un réel plaisir à écouter tous les artistes dont j’ai accumulé patiemment les albums (oui, même Apoptygma Berzerk, selon l’humeur), j’ai sciemment zappé des genres musicaux entiers parce que ça n’était pas de la “vraie musique”. Pas un truc sérieux.

Ce qui est intéressant, c’est que ce qui ressemble à une expérience très personnelle est en fait complètement systémique. Toute la critique musicale est construite sur les mêmes bases. Exemple maladroit et approximatif avec les couvertures des Inrocks : en 4 ans on y trouve deux fois Philippe Katherine, mais aucune trace d’Aya Nakamura. On rejoue ? Chez Rock & Folk, on ne trouve que des hommes en couverture sur toute l’année 2017. Une seule femme en 2019 (Catherine Ringer), une seule toujours en 2020 (Chrissie Hynde des Pretenders).

Alors vous je ne sais pas, mais moi tout ça m’a un peu travaillé. En gros consommateur de musique, me dire que je passe à côté de plein d’artistes c’est très frustrant. J’ignore comment faire bouger les lignes, mais j’ai commencé par revoir mes règles. Désormais, je veux ré-équilibrer ma discothèque et inclure plus de femmes. Écouter des rappeuses, des chanteuses pop, des rockeuses, des goths, des métalleuses, des indépendantes. Et donc tant que je n’aurai pas atteint 50%, je n’ajoute plus que des disques portés par des femmes. Ça demande un petit travail, histoire de sortir de sa zone de confort, mais c’est beaucoup moins compliqué que je ne le pensais.

Et vous savez quoi ? Ben ça fait du bien.

bonus track - un épisode éclairant du podcast Les couilles sur la table sur le sujet : “En musique, les hommes donnent le la

morceau caché - mes découvertes et redécouvertes du mois dernier (dans le désordre, mais toujours avec plaisir) : Aloïse Sauvage, Amanda Palmer, Anoushka Shankar, Macy Gray, Beth Gibbons en solo, Melissmell, Charlotte Cardin, Dua Lipa, Allison Russell, Hoshi, Billie Eilish, Mereba, Girli, Regina Spektor, Imany, Patti Smith, Mariama, Young M.A., Tash Sultana

lundi, mai 10 2021

High Fidelity

Parmi les habitudes que j’ai perdues, il y en a une qui me touche plus particulièrement : écouter de la musique. Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais la vie de bureau (tellement confortable pour plein de choses) rend le port du casque beaucoup moins acceptable socialement. Quand tu n’as qu’une seule personne en face de toi toute la journée, c’est un peu délicat de se visser des écouteurs sur les oreilles.

Le passage à des plateformes d’écoute a aussi beaucoup changé mon rapport à la musique. Au début pour le meilleur, en me donnant accès à tout ce que je voulais écouter. Et puis, petit à petit, pour le pire, en rendant mon rapport à la musique beaucoup plus diffus. Je suis devenu un peu prisonnier de ce que la machine me proposait à écouter, et comme cette machine n’est finalement pas très douée pour ça, j’ai peu à peu abandonné. Concevoir des listes de lecture était un bon moyen de lutter contre ça, mais ça fait un moment que je n’en ai plus vraiment le temps.

Bien avant ça, je pouvais compter sur quelques personnes de qualité, dont les préférences musicales étaient assumées. C’est comme ça que j’ai passé des jours entiers à discuter de certains disques avant de les écouter, et autant de jours à écouter des disques pour me les approprier. Mes propres goûts ont été en grande partie formatés par ces personnes merveilleuses, mais notre capacité à échanger sur la musique a suivi le même chemin que ma capacité à écouter de la musique.

Le manque étant constaté, la difficulté consiste à changer de comportement. À redécouvrir ma musique, mes disques, mes artistes (notez le possessif insistant). C’est une première étape nécessaire, mais le risque est fort de virer vieux schnock bloqué sur un style ou une période figée. Il faut aussi retrouver des partenaires d’écoute, des gens pour me pousser à aller vers des choses nouvelles. Des gens à qui je peux dire qu’ils ont des goûts de merde, tout en me les appropriant fissa. Au minimum, me pousser un peu à parler de musique en gardant l’esprit ouvert. La grande vertu de la démarche, c’est que ça me force à reconsidérer ma propre collection, mes propres standards. À aller chercher des morceaux oubliés, et chercher à oublier certaines certitudes.

Le défi, c’est de trouver des gens qui veulent bien jouer[1] avec moi.

Note

[1] Comme j’aime bien la difficulté, j’ai redéfini mes règles du jeu.

samedi, mai 8 2021

Recomposer

Il y a 18 ans j’écrivais tout d’un trait, sans trop réfléchir. Ça se ressent beaucoup à la relecture, c’est souvent trivial et difficile à recontextualiser. Malgré tout, j’en retire une certaine valeur, au moins sentimentale. Et ça existe.

Aujourd’hui je n’écris plus et je réfléchis trop avant de taper. Ça se ressent aussi bien sûr, parce que contrairement au vélo, on oublie, on perd, et on se perd. La difficulté première c’est de dégager du temps, bien sûr, de concentrer son attention. J’ai abandonné les réseaux sociaux pour de multiples raisons, mais d’abord pour regagner des heures perdues à scroller indéfiniment et sans but précis. Mais j’y ai au passage perdu quelques étincelles, un peu de motivation. Et ce blog a continué de souffrir de mes dispersions.

Si je ne me résous pas à le tuer, c’est que je continue à aimer ce qu’il y a derrière un blog. La décentralisation, le jaillissement d’idées, la confrontation de points de vues. Le souvenir de très belles rencontres aussi. Et j’aime lire les quelques blogueurs qui restent fidèles. Il ne m’en reste plus beaucoup, mais j’y suis très attaché et leurs textes continuent de me marquer plus que tout ce que je peux glaner ça et là. C’est plus reposant, plus construit, moins énervé ou outré. C’est plus exigeant aussi, parfois. Tristement, la liste est rapide à faire : il me reste matoo, Éric, Tristan et Virgile en français. Et Kottke en anglais, pour faire simple.

Et si le parallèle est un peu douteux, j’aime aussi écouter les gens. J’ai découvert les podcasts par la radio en différé (essentiellement France Inter et France Culture), mais j’y ai depuis retrouvé un peu de l’énergie qui nourrissait la blogosphère il y a 15 ans. Si la radio reste un média redoutablement efficace dans ce format (je pourrais passer des heures à écouter l’émission de Sonia Kronlund, Les Pieds sur terre), c’est également très propice aux rencontres et aux croisements. C’est ainsi que, alors que mon temps de trajet (propice à l’écoute plus qu’à la lecture) a quasiment disparu en un an, la liste des podcasts que je suis n’a fait que s’allonger. Sont ainsi arrivés dans mon univers tous les gens merveilleux de chez Binge Audio, et quelques-uns de Nouvelles Écoutes. Et plus récemment les marseillaises de YESSS et la très éclairante Julie Beauzac (dont le podcast a l’un des noms les plus classe). À mesure que j’écoute les uns et les autres, j’en ajoute plein de nouveaux. Et je suis retombé dans la même difficulté qu’avec tout le reste : dégager du temps pour tout écouter.

On oublie, disais-je, et ça se ressent. C’est compliqué d’articuler tout ça, de faire un texte avec un début, une fin et de la structure. Mais comme ça n’est ni une dissertation, ni une obsession des Jours, tant pis si c’est un peu brouillon. Et espérons que ça soit plus une remise en jambe qu’un énième faux départ.